Après des mois de rumeurs, de révélations et de remous dans les plus hautes sphères de l’État, l’un des visages les plus emblématiques des finances publiques équato-guinéennes est désormais devant la justice. Le lundi 30 juin 2025, s’est ouvert à huis clos, devant la Cour provinciale de Bioko Norte, le procès pour corruption présumée dans l’affaire dite du dossier n°44/2023, mettant en cause Baltasar Engonga, plus connu sous le surnom de « Bello », ancien directeur général de l’Agence nationale de recherche financière (ANIF).
Ce procès, très attendu dans l’opinion publique, s’inscrit dans le cadre de la vaste campagne de moralisation de la vie publique, officiellement lancée en 2022 par le gouvernement équato-guinéen. Une campagne qui, selon les autorités, vise à mettre un terme aux pratiques d’enrichissement illicite, à restaurer la transparence dans la gestion des fonds publics et à rétablir la confiance des citoyens.
Les faits remontent à l’année 2023, lorsqu’un audit interne du ministère des Finances révèle de graves anomalies dans la gestion de fonds alloués au Trésor public. Très vite, l’Agence nationale de recherche financière, alors dirigée par Baltasar Engonga, est mise en cause. L’enquête du parquet met à jour un réseau présumé de détournement de fonds, de fausses facturations, de marchés fictifs et de rétrocommissions, opérant en toute opacité depuis plusieurs années.
Selon le Ministère public, des dizaines de milliards de francs se seraient ainsi évaporés entre 2019 et 2022, au profit de hauts fonctionnaires et d’un cercle restreint de prestataires privés, sous la couverture de projets de développement jamais réalisés.
La chute de Baltasar Engonga fut aussi rapide que brutale. Le 17 novembre 2023, il est arrêté à son domicile de Malabo par la police judiciaire, dans une opération discrète mais très encadrée. Quelques heures plus tard, il est placé en détention préventive dans une unité spéciale de la capitale. Depuis, il dit ne pas reconnaître en bloc les accusations portées contre lui, affirmant être victime d’un « règlement de comptes politique ».
Mais pour les enquêteurs, les preuves sont accablantes : virements bancaires suspects, sociétés-écrans enregistrées à l’étranger, acquisitions immobilières disproportionnées, sans oublier les témoignages à charge d’anciens collaborateurs.
Au-delà du seul cas Engonga, c’est tout un système qui est aujourd’hui mis en lumière. Longtemps protégé par son réseau d’influence, celui que l’on surnommait dans les cercles du pouvoir « le cerveau de l’argent public » incarnait aux yeux de nombreux citoyens les dérives d’une administration minée par la corruption et le clientélisme.
Pour la première fois, un haut responsable de l’ANIF l’organisme même chargé de traquer les flux financiers illicites est traduit en justice. Une ironie tragique qui cristallise à elle seule les contradictions de la gouvernance en Guinée équatoriale.
Malgré la fermeture du procès au public, l’affaire suscite une forte attention nationale et internationale. Les ONG de lutte contre la corruption, les chancelleries étrangères et les citoyens eux-mêmes espèrent que ce procès marquera une rupture avec la culture de l’impunité.
S’il est reconnu coupable, Baltasar Engonga risque jusqu’à 20 ans de prison ferme, assortis de lourdes amendes et de la confiscation de ses biens.
Mais pour beaucoup, au-delà du verdict, l’essentiel est ailleurs : que la vérité éclate, que les responsabilités soient établies et que commence, enfin, une ère de reddition des comptes.
Diane Kablankan